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Improvise en Corps
29 septembre 2008

Réflexions autour d’écrits de Simone Forti et de Guylaine Massoutre.

Simone Forti, danseuse-chorégraphe nord américaine, parle ici de ces expériences en improvisation et en contact improvisation. De son côté, Guylaine Massoutre, critique et journaliste, aborde par les mots le travail du corps en danse qu'elle observe chez le danseur-chorégraphe Paul-André Fortier.

« La scène. Entrer. Maintenant, ils me voient. Qu’ils me voient, qu’ils s’habituent à me regarder. Se calmer. S’ouvrir. Je choisis un endroit. Je reste là. Je promène rapidement mon regard sur le public. Pour les voir, pour qu’ils puissent voir mon visage, toute mon attitude, un simple regard de reconnaissance en guise de bonjour. Je commence. »

Simone Forti, Manuel en mouvement, p.209, Nouvelles de danse 44-45, Contredanse, Bruxelles, 2000.

Nous avons tendance à l’oublier mais il est vrai que le premier geste, le premier regard reste un point fondamental dans la chorégraphie et d’autant plus lors d’une improvisation. Moment où le danseur comme le spectateur se lance dans un voyage vers l’inconnu. Le premier regard échangé entre danseur et spectateur est le premier pas à faire avant toute chose. La danse se fait alors à deux, danseur et spectateur lié par ce regard, ce bonjour, cette reconnaissance essentielle.

En tant que danseur, prendre conscience de l’espace afin d’y inscrire sa danse c’est aussi situer le spectateur et le prendre en considération dans sa place physique mais aussi dans son humanité et sa sensibilité.

C’est aussi faire une invitation au voyage, à la danse.

« Il y a quelque chose que j’expérimente et que j’appelle l’état de danse. C’est un état d’enchantement. Comme  dans « chant ». Ou « chanter ». Comme si vous étiez pris par la magie d’une chanson. Je l’ai vécu comme état de conscience intensifié, lorsqu’une possibilité après l’autre se présente, tel un chemin qui se révèle. Au moment où je me lève, me baisse et me tourne, mon œil remarque le jeu d’ombre des feuilles sur le mur du fond, qui suggère le mouvement suivant. Je pense que c’est un état d’être. Comme dormir, chercher ou paniquer sont des états d’être. L’état de danse peut se révéler lors de l’exécution d’une œuvre chorégraphique. L’improvisation en dépend. Lorsque cela se déroule très bien, c’est comme si un ange vous déposait l’improvisation sur vos genoux. Lorsque ce n’est pas le cas, on doit faire appel à sa technique d’une manière plus méthodique. Cela fonctionne quand même. Mais pour devenir un improvisateur, il est nécessaire de connaître la matière qui vous inspire actuellement, afin qu’elle puisse induire cet état. »

« Même Isadora Duncan, qui restait debout silencieuse et immobile au milieu de son studio, dans l’attente d’une impulsion, travaillait à partir du problème précis qu’elle s’était fixé, de purifier l’environnement et de guetter un élan intérieur. »

Simone Forti, Manuel en mouvement, p.209, Nouvelles de danse 44-45, Contredanse, Bruxelles, 2000.

Un simple écho à l’atelier mené par Nolwenn et Jean le 15 septembre 2008, où Nolwenn demandait de ne danser que par nécessité, que par le biais d’une impulsion intérieur qui invoquerait un mouvement.

Cette attente de l’élan intérieur est un exercice difficile qui est toutefois étonnant à ressentir car il permet de développer une danse « essentielle », tracée par la simple force d’un besoin, d’un état qui nous enveloppe complètement. Il s’agit de laisser la danse entrer et diriger notre corps.

Lorsque deux danseurs, en contact improvisation par exemple, s’unissent dans cet état de danse et de nécessité du mouvement, ils suivent alors un flux invisible et puissant qui rend leur danse fluide et évidente.

La jouissance de danser apparaît.

La chorégraphie s’inscrit dans l’espace clairement.

La « présence » des deux danseurs devient lumineuse, vibrante et forte.

Cet état de danse et cet élan intérieur s’infiltre souvent en nous lorsque nous sommes dans un certain « lâché-prise » corporel et mental et dans une sensibilité corporelle qui nous permet de réagir instantanément à n’importe quel mouvement intérieur ou extérieur.

« L’acte de danse émerge du noir, du silence, du vide. D’un trop plein de lumière, de bruit, de plein. »

Guylaine Massoutre, L’atelier du danseur, Métissages, Québec, 2004. 

«  Mais le spectacle devrait être aussi plein de découvertes. Si la libre exécution d’un élan est primordiale, il est également capital de garder un extérieur. Un ensemble de jugements relatif à la nature de ce qui est en train de se produire, en même temps que la conscience du fait que vous êtes en train de créer quelque chose. Est-ce nouveau ? Est-ce que cela mène à quelque chose ? Est-ce que c’est accessible au public ? »

Simone Forti, Manuel en mouvement, p.209, Nouvelles de danse 44-45, Contredanse, Bruxelles, 2000.

Il est vrai que la danse contemporaine improvisée ou non, a pour réputation d’être inaccessible ou très abstraite. La question de Simone Forti est importante mais délicate. « Est-ce que c’est accessible au public ? »

Qu’est-ce qu’une danse accessible ? Comment la rendre accessible ?

C’est aussi une pensée sous-jacente de la  Compagnie Improvise En Corps qui propose la danse en appartement, chez le particulier, dans l’intimité d’un espace privé.

Cela rend-il la danse plus abordable ?

Oui, en quelque sorte, la danse se rapproche du spectateur. Physiquement dans un premier temps mais aussi spatialement, car la danse investit alors l’espace privé et le transforme par le mouvement. Elle joue un rôle, elle permet de faire vivre le lieu d’une autre manière. Ce qui se répercute sur celui qui regarde et qui est dans l’espace. Il vit dans son environnement, autrement.

Sans compter la participation du public à travers le système des consignes données aux danseurs.

« Le danseur fait corps avec son espace. »

Guylaine Massoutre, L’atelier du danseur, Métissages, Québec, 2004.

Le danseur qui « réinvente » d’une certaine manière l’espace, est responsable du lien qu’il va ou non créer avec le spectateur. La question de savoir comment intégrer celui qui regarde dans la danse, de comment l’émouvoir, est présente tout au long de la danse… qui devrait pouvoir trouver un sens aux yeux de chaque membre du public.

Saint-Exupery en parle lorsque le Petit Prince demande au renard ce que signifie « apprivoiser ». Il se pose la même question que le danseur. Le renard répond alors «  C’est une chose trop oublié. Ça signifie ‘’ créer des liens’’ ».

Comment créer des liens ? Voilà le peut-être la question du danseur, une voie à chercher et à prendre.

« Le spectateur est invité à sentir la gravité, la souplesse, la densité de l’air et la qualité des relations tissées sur le plateau. Toutes magnifient un corps métamorphosé par des relations. »

Guylaine Massoutre, L’atelier du danseur, Métissages, Québec, 2004.

« Il faut aller de l’avant pour suivre le danseur dans son silence, le voir s’enfoncer dans le néant qu’il emplit de son jeu, avec tout ce que ce mot désigne de mobile, d’instable, d’éphémère et de négations assumées. »

Guylaine Massoutre, L’atelier du danseur, Métissages, Québec, 2004.

C’est aussi au spectateur de se laisser porter par la danse, par le danseur à travers ce voyage, sans préjugé. Le mouvement est aussi bien vécu par celui qui le fait que par celui qui le regarde. Chacun est impliqué dans un effort, un état qui permet d’accueillir la trace laissée par le corps, de la comprendre, de la ressentir et de la laisser vibrer.

« L’interprète contrôle sa gestuelle à la manière des arts martiaux où le corps s’abandonne à la gravité avec lenteur. Il se pose dans le monde comme dans une méditation tranquille et poétique. Il laisse le spectateur partager son propre état de paix et de lourdeur bien placée. »

Guylaine Massoutre, L’atelier du danseur, Métissages, Québec, 2004.

Celui qui observe le mouvement, danse intérieurement. Il lit un corps, le suit, le dessine, le sent, l’intègre à sa propre conception du corps.

C’est le spectateur qui crée la chorégraphie en essayant de la lire et de la vivre à sa manière. La trace laissée au cœur du témoin est la seule écriture qu’il reste de la danse improvisée.

« L’empire de la danse est un acte en perpétuelle disparition, sans support autre que la mémoire corporelle, contrairement à la musique, à l’écriture et à la peinture. Plus près de l’oral, de ces mots qui s’envolent quand les écrits restent, elle s’enfonce dans la mort qui la flambe sans fumée ni cendre. »

Guylaine Massoutre, L’atelier du danseur, Métissages, Québec, 2004.

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